Nouvelles de Marseille volume 2
Nouvelles de Marseille
Volume 2
Suite des aventures imaginaires d'un maître en arts martiaux vietnamiens
à MARSEILLE. Entre polar et fantastique, action et philosophie,
parsemé de combats et de traditions extrême-orientales.
Toujours le même dépaysement sous le soleil provençal !
15,75 €
Extrait de « Nouvelles de Marseille – volume 2 »
“ Plus vite, plus haut, plus fort. ”
Baron Pierre de Coubertin
“ L’honneur élève l’homme, la compassion ennoblit. ”
Maître Tran-Van-Ho
Introduction
Ce jour-là, nous étions bien loin des idéaux et des valeurs du sport, chers au Baron Pierre de Coubertin qui, comme un pionnier, avait rallumé la flamme de l’olympisme moderne. L’histoire ne dit pas si cette raison influença le président de la République de l’époque pour nommer l’aristocrate au poste de Ministre des Sports de France. La seule chose qui est sûre, c’est qu’il fut le premier homme, non pas à marcher sur la Lune, mais à occuper ces fonctions. Pour un idéaliste tel que lui, il n’aurait pas été très fier de cet aspect du sport, mais il fallait parer au plus pressé et empêcher les débordements.
La compétition avait pourtant bien commencé par l’annonce des règlements, quelques rappels au sujet du respect que l’on doit à ses partenaires, mais ce jour-là, certains n’étaient pas venus pour participer, mais pour gagner et à tout prix ! Pourtant, le sport, ce subtil substitut aux conflits, créé à la fin des dernières guerres puniques, permettait à des hommes et des femmes de s’affronter sans se tuer ou se blesser. Mais face à une horde vociférante, violente, sans foi ni loi, cherchant à semer la douleur et la souffrance, il fallait utiliser la force. Les organisateurs, maîtres et professeurs devaient passer de “ si vis pacem, para bellum (si tu veux la paix, prépare la guerre) ” à “ bellum gessere (faire la guerre) ”.
Dieu que les puissances combinées de l’imbécillité et de l’inconscience sont grandes !
Chapitre 1 :
“ Plus vite ”
La salle Vallier était comble. Près de deux mille spectateurs étaient venus assister à cette compétition d’arts martiaux vietnamiens en ce dimanche d’avril. Les règles de cette rencontre privilégiaient la vitesse afin d’éviter les blessures occasionnées par des coups portés trop puissamment qui auraient irrémédiablement apporté la disqualification au combattant trop fougueux. Outre la qualité des techniques utilisées, le compétiteur devait faire preuve de maturité, de contrôle et de respect.
Les premiers affrontements se déroulèrent sans incidents. Cependant, en fin de matinée, tout s’accéléra brusquement après des revendications auprès des arbitres, formulées par un club de la Seyne-sur-mer. Le responsable, fort contrarié de la défaite de son poulain fit savoir à haute voix son mécontentement, battant en brèche l’autorité des organisateurs. Cette volonté de gagner à tout prix frisait l’idiotie.
- “ Mon élève aurait dû gagner. J’ai compté six points pour lui et cinq et demi pour l’autre. ”
- Monsieur, étiez-vous à la table des arbitres ?
- Non, mais je…
- Alors, laissez-les faire leur travail. Lorsque vous y serez, les combattants se conformeront à vos jugements. ”
L’homme qui venait de s’exprimer de la sorte était vietnamien. Tous les pratiquants le respectaient pour son long passé de combattant et de compétiteur l’appelant “ maître ”, d’autres l’appelaient par son prénom. Son nom était Tran-Van-Ho.
Le revendicateur varois jurait entre ses dents :
- “ ‘Culé. Y nous ont baisé ces pédés. On s’est encore fait voler. ”
Puis s’adressant à ses élèves :
- “ Faites gaffe à l’arbitrage. Et pour les autres combats, shootez- les, cherchez le KO. Quitte à être disqualifiés, on leur fera voir à ces enculés. Vous avez capté, les gars ?
- D’accord chef. ” répondirent-ils en chœur.
Le poison avait déjà envahi l’esprit de la compétition. En effet, les combats suivants furent plus rudes et on eut à déplorer des accidents. Un jeune compétiteur eut deux côtes cassées. Un autre reçut un coup de poing dans la bouche qui lui éclata la lèvre. On sentit la tension monter chez les arbitres, chez les compétiteurs, mais aussi dans le public. Les combats devenaient trop dangereux : tout allait trop vite.
Seule une jeune femme aux cheveux blonds, indifférente aux tensions passait et repassait entre les compétiteurs, bombant le torse pour mettre en évidence son opulente poitrine. Elle aguichait les hommes jeunes ou moins jeunes avec une préférence pour les officiels et arbitres, affublée d’un sourire enjôleur. Hélas, ceux-ci, forts absorbés par leur travail ne prêtèrent guère attention à l’aguicheuse écervelée. Heureusement pour elle, un professeur de Cannes la remarqua en lui adressant un sourire charmeur. La bimbo s’assit à côté du pratiquant d’arts martiaux et entama une conversation suggestive en étalant toutes les postures de la gestuelle de séduction féminine.
Sur l’aire de combat, les affrontements se succédaient, de plus en plus brutaux. Deux compétiteurs furent disqualifiés. Trois autres furent blessés et abandonnèrent. Les arbitres firent une nouvelle fois des rappels à l’ordre, mais en vain.
- “ Il faut arrêter la compétition. Cela devient trop dangereux et je crains que nous n’ayons de nouveaux blessés.
- Vous y pensez réellement, maître Tran-Van-Ho ?
- Je suis très sérieux, monsieur Marilion.
- Nous ne pouvons pas reculer et d’ailleurs qui remboursera les billets d’entrée ? Vous ?
- S’il le faut, oui.
- Soyez sérieux. Cette compétition compte pour les sélections nationales. Il faut la terminer.
- Même au prix que nous sommes en train de payer ?
- Oui.
- Je m’incline car vous êtes le responsable national pour les compétitions, mais sachez que je ne partage pas vos convictions ni vos choix. Avertissez les pompiers : je m’attends au pire. ”
A ce moment-là, un jeune homme tomba au sol et resta inanimé pendant que les secouristes de la Croix-Rouge lui apportaient de l’aide. Les deux hommes se regardèrent froidement. Maître Tran-Van-Ho soutint le regard de monsieur Marilion qui finit par détourner ses yeux avant de s’éloigner.
Dans les tribunes, l’excitation battait son plein. La séductrice du dimanche riait à gorge déployée aux blagues salaces racontées par le professeur de Cannes. Puis tous deux se levèrent discrètement avant de se diriger vers les vestiaires.
Les trois minutes du combat suivant furent d’une haute qualité technique. Le jeune Nguyen-Van-Tin de Montpellier perdit son combat de justesse face à Marc Deloréal de Gap.
Le public applaudit chaleureusement les deux combattants qui se séparèrent après s’être respectueusement salués. Pendant ce temps, la jeune femme suivie de son partenaire émergèrent de l’ombre des vestiaires, elle en réajustant sa courte jupe aux couleurs criardes d’un mauvais goût évident et lui en resserrant son pantalon, l’air béat…
Chapitre 2 :
“ Plus haut ”
Le début d’après-midi accueillit les quarts de finales. Bien sûr, le niveau technique des combattants était plus élevé, leur niveau de conscience aussi, leur respect devait être exemplaire. Logiquement, les blessures devaient être plus rares. Mais parfois, la logique échappe aux hommes.
Le premier combat opposa deux compétiteurs, l’un venu de Marseille et l’autre d’Hyères. Dès les premières secondes, des coups de pied furent portés au visage. Les deux hommes commençaient à perdre leur calme et augmentèrent le rythme, élevèrent le niveau de puissance des coups en cherchant systématiquement le K-O. Les supporteurs encourageaient les combattants en criant leur joie à chaque point marqué. De leur côté, les entraîneurs se devaient de calmer le jeu, mais décidément les Varois, avaient décidé d’agir autrement. Du coin de l’aire d’évolution qu’ils occupaient, tous hurlaient :
- “ Putain, dégomme-le. Mais dégomme-le ! Shoote, shoote. Voilà comme ça tu vas l’avoir. ”
L’ambiance était plutôt à la foire qu’à une rencontre sportive. Bien sûr la joie et l’excitation ont toujours un côté agréable, d’exaltant, mais ce jour-là, il y avait quelque chose de plus, de sauvage, de clanique voire tribal. Loin étaient les ambiances civilisées, mais rudes des tournois d’antan où l’honneur et le respect animaient les combattants. Cela gênait fortement les arbitres qui s’agitaient mal à l’aise sur leurs chaises, sans pour autant intervenir pour réguler la situation. Maître Tran-Van-Ho demanda à suspendre le combat et se leva avant de se diriger droit vers le hurleur principal.
- “ Ce que vous faites n’est pas autorisé. De plus, vous risquez de faire disqualifier votre élève. ”
Un peu intimidé, l’homme se calma.
- “ Mais je voulais simplement l’aider.
- Vous ne le faites nullement. Au contraire, vous le perturbez. Je crois qu’il vaudrait mieux lui donner la possibilité de s’exprimer avec les connaissances que vous lui avez transmises. Laissez-le donc combattre d’une manière autonome. Par ailleurs, ce que vous insufflez dans l’esprit de la compétition, ne correspond pas tout à fait à celui des arts martiaux. En avez-vous conscience ?
- Oui, non, mais je…
- Voilà, vous avez tout dit. ”
Le ton était courtois, mais ferme. En effet, tout était dit. Le calme revint dans le coin et dans tout le gymnase redonnant la possibilité aux compétiteurs de s’affronter dans de bonnes conditions. Ils terminèrent le combat qui fut un modèle de beauté technique. La victoire fut octroyée à Jean-Christophe Bertaciolli de Hyères. Son équipe toute entière était hystérique ; une joie sauvage et démesurée agita les rangs.
Maître Tran-Van-Ho s’approcha à nouveau du hurleur qui s’agitait comme un malade secoué par les spasmes d’une crise d’épilepsie.
- “ Vous voyez, votre élève a vaincu. Il était inutile de l’exciter pour cela. Pour tout vous dire, le perdant est un des miens. Mais je préfère le voir perdre avec brio que vaincre avec un mauvais esprit. Dans une rencontre de ce type, les expériences et les leçons ne se prennent pas uniquement sur l’aire de combat. Retenez cela, je crois que cela pourra vous faire grandir, évoluer et vous élever dans votre pratique. ”
Pendant que le maître vietnamien s’éloignait les membres de l’équipe demandaient :
- “ Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
- Rien. Il est taré ce mec ! Yé ! Yé ! Yé ! On a gagné. ”
Tout en haut des gradins, un mouvement agitait les spectateurs. En effet, une tribu de jeunes gens à l’air excité était entrée et se regroupait dans un coin reculé. Au bout d’un court moment d’observation, ils commencèrent à chahuter. Immédiatement, un espace se libéra autour d’eux. Loin de l’aire de combat et ne produisant qu’un son à peine supérieur à celui qui inondait le gymnase, les organisateurs n’y prêtèrent pas attention.
Pendant ce temps, la rencontre sportive continuait, les coups de pieds ne touchaient plus les côtes ou le ventre. Ils visaient maintenant le visage, systématiquement. Encore plus haut… Les demi-finales arrivaient.
Chapitre 3 :
“ Plus fort ”
Les combats s’enchaînèrent. Les compétiteurs et les spectateurs avaient eu le temps de se sustenter afin d’aborder la phase la plus intéressante de la rencontre.
Dès le premier affrontement, Daniel Ezrati, un jeune homme qui combattait avec beaucoup de style fut blessé. Durant les premières secondes, il envoya son adversaire au sol par deux fois avec des balayages de toute beauté, techniquement parfaits et tout à fait dans le temps. Son adversaire José Porinetti de Montélimar n’apprécia pas d’avoir été ridiculisé de la sorte par un jeune freluquet sorti de nulle part et qui mettait à mal le tenant du titre de la catégorie des mi-lourds qu’il était ! Sa réponse fut directe et d’une violence démesurée. Il effectua un balayage direct au niveau du genou brisant net l’articulation. Le jeune Daniel s’effondra en hurlant, tenant entre ses mains son genou qui commençait à enfler dangereusement. L’arbitre appela le médecin qui arriva en courant suivi de deux secouristes. Après un bref examen, Daniel reçut les premiers soins et fut évacué vers l’hôpital de la Timone. Au regard des arbitres, cela fut considéré comme un abandon et certains d’entre eux donnèrent José vainqueur. Cependant, d’autres continuaient à discuter. En effet, ils se demandaient s’il y avait intention de blesser ou pas.
- “ A mon avis, il l’a fait exprès.
- Je le crois aussi. J’ai vu son regard lorsqu’il s’est relevé après le deuxième balayage. Et vous maître Tran-Van-Ho qu’en pensez-vous ?
- Si j’étais seul juge, je le disqualifierai. ”
L’arbitre central reprit sa place au milieu du tapis et demanda le résultat : quatre des cinq arbitres levèrent le drapeau rouge de la disqualification. Des sifflets fusèrent des gradins, des applaudissements aussi. José Porinetti, furieux d’avoir perdu son combat jeta ses gants au sol avant de s’éloigner en criant et en agitant ses bras comme un rappeur.
Le combat suivant fut de même nature. Les deux compétiteurs furent disqualifiés, l’un pour avoir cassé des côtes de son partenaire et l’autre pour lui avoir cassé le nez. Le spectacle était pathétique. Où était donc la beauté de cette pratique ? Où était donc la beauté des “ arts ” avant d’être “ martiaux ” ?
Pendant ce temps sur les gradins, les fraîchement exclus de la compétition complotaient :
- “ Les enculés. Ils m’ont disqualifié. Putain, je m’en ferai bien un, d’arbitre. Je suis certain que ces pingouins, y z’ont jamais combattu, alors qu’ils viennent pas me filer des leçons.
- Attends. Laisse-moi faire. L’autre chinois de merde, j’en fais mon affaire.
- Quoi ? Le maître ?
- Maître de mon cul, ouais. Tu vas voir. ”
Malgré les mécontentements, la compétition continuait. Les lourds allaient combattre. Cette catégorie impressionnait beaucoup car la stature des combattants rappelait celle des gladiateurs d’antan. Alors que Jacques Sanson, le jeune champion cannois faisait face à un nouvel adversaire, son professeur s’éclipsait vers les vestiaires avec la starlette du championnat. Il était seul devant son adversaire, mais surtout face à lui-même. Il n’avait pas peur, car du haut de ses deux mètres, avec ses cent dix kilos de muscles, il avait de quoi être rassuré. Un coup de gong annonça le début du combat. Avec un rythme soutenu, les deux athlètes s’affrontèrent. Les techniques étaient aussi évoluées qu’efficaces et fort esthétiques. Tous deux d’un niveau similaire n’arrivaient pas à se départager. Le rythme s’accéléra en même temps que le temps passait. Plus puissants étaient les coups, plus fort le combat ! Hélas au moment où son adversaire attaqua Jacques glissa et reçut un coup de pied dans l’aine. La douleur fut insoutenable. Il tomba à genoux avant de s’affaisser mollement sur le sol. L’arbitre central appela le médecin puis les secouristes qui avaient déjà fort à faire avec les autres blessés. Maître Tran-Van-Ho s’enquit du professeur du jeune élève. Personne ne lui répondit. Repoussant brusquement sa chaise, l’expert vietnamien accourut auprès du jeune homme dont le visage avait déjà pris une teinte verdâtre. Un filet de salive s’écoulait de sa bouche par la commissure de ses lèvres. Il avait cessé de bouger se limitant à haleter comme un animal blessé. Maître Tran-Van-Ho, malgré sa fine stature, releva le lourd compétiteur, l’assit et apposant ses mains sur le large dos impulsa un mouvement respiratoire forcé. Visiblement ce fut insuffisant. Sans tarder, il percuta les quatrième et cinquième vertèbres dorsales du plat de sa main, obligeant le jeune homme à reprendre son souffle. Une bruyante inspiration, suivie d’une toux sonore ramena le compétiteur à la conscience. Tout en le réanimant, le maître lui parlait avec douceur, puis l’allongeant sur le dos, il frappa plusieurs fois du tranchant de sa main sur la plante du pied de l’infortuné avant de l’asseoir afin de faire redescendre les testicules dans leur bourses.
- “ Comment te sens-tu ? Tu peux terminer ?
- Oui ça va beaucoup mieux. Merci pour tout maître, je vais terminer.
- C’est courageux. Tu as fait un très beau combat. ”
Jacques Sanson se mit en position et termina son combat. A la fin, les arbitres discutèrent un court instant et après comptage des points lui octroyèrent la victoire. Son adversaire vint lui serrer la main en s’excusant une nouvelle fois avec beaucoup d’humilité, pour ce geste malheureux. C’est à ce moment-là que son professeur émergea des vestiaires, l’air satisfait, accompagné de la jeune femme. Elle marchait les jambes légèrement écartées, essayant vainement de défroisser sa courte jupe sur laquelle des mains malpropres avaient laissé des taches douteuses. Effectivement la copulation avait dû être forte et bestiale.
Maître Tran-Van-Ho jeta un regard noir en direction du couple et se leva, agacé, lorsqu’une dame d’un certain âge l’aborda.
- “ Monsieur, je voulais vous remercier pour ce que vous avez fait à mon fils. Vous n’êtes même pas son professeur mais l’avez tout de même aidé !
- Ce n’est rien, madame. N’importe qui l’aurait fait à ma place.
- Non, non. Je suis sûre que non. Voyez son prof, il n’était même pas là. Et maintenant, il est toujours pas là. Il s’occupe pas de ses élèves. Il s’en occupe jamais.
- Peut-être était-il occupé avec les arbitres ? ”
Même contrarié comme il l’était, il protégeait encore le corps professoral. Il pensa qu’il faudrait élaborer une charte déontologique du professeur. Il continua ainsi :
- “ Je n’ai fait que mon devoir, madame. Je n’oublie pas que je suis avant tout un homme et ne pourrai laisser un autre homme dans un pareil état.
- Merci, monsieur. Merci encore. ”
Chapitre 4 :
“ Tous ensemble ”
En attendant les combats pour la finale des différentes catégories, les élèves et professeurs des différents clubs de la région effectuèrent des démonstrations. Des jeunes enfants, dans un ordre parfait, simulaient un combat imaginaire. Puis, deux jeunes filles manièrent de longues épées d’acier avec beaucoup de grâce.
Tout à coup, une canette de bière atterrit sur l’aire d’évolution, juste devant l’arbitre de touche. Le groupe de jeunes gens qui chahutaient s’était rapproché du tapis en sifflant, criant, l’air bravache. L’un d’entre eux s’écria :
- “ C’est quoi ce truc de tarlouze ? Nous, on veut des combats. Il faut que ça frite. On n’est pas des pédés, nous. ” avant d’éclater de rire.
D’autres bouteilles volèrent suivies de papiers gras et de gobelets du Mac Donald tout proche. Un jeune arbitre, Jean-Marc Huynh se leva et se dirigea vers le groupe dans le but de les raisonner. Mais au moment où il arrivait à portée, il fut cueilli par un violent coup de tête qui lui déchira l’arcade sourcilière en l’envoyant à plus de deux mètres en arrière. Il tomba sur le sol et demeura immobile. De sa blessure, s’écoulait un filet de sang clair. Le temps sembla se figer, le silence était absolu.
Soudain, Jean-Philippe et Jean-Patrice, les deux frères de Jean-Marc s’élancèrent pour corriger les perturbateurs et venger leur jeune frère. Ils n’étaient que deux face à une trentaine de voyous provocateurs et bagarreurs, mais peu leur importait car ils avaient la connaissance ancestrale du Vo, l’art martial vietnamien. En quelques secondes ils en avaient assommés trois, mais commençaient à être submergés.
Les professeurs, combattants de tous les clubs se sentirent totalement unis lorsqu’ils se dirigèrent vers la bande en un ordre parfait. Ils voulaient la bagarre ? Ils furent servis et mieux qu’il ne le pensaient !
Dans un indescriptible chaos, les corps se rencontrèrent dans un déchaînement de violence inouïe. Un jeune élève mis à mal par deux voyous fut sauvé par un jeune professeur de Valence qui assomma d’un coup de pied dans la mâchoire, puis d’un coup de coude derrière le crâne, les fauteurs de troubles. Une vague de pratiquants d’arts martiaux vêtus de vo-phuc noirs rencontra la ligne inégale et désordonnée de la bande ivre de bière et de violence qui fut rapidement étonnée du résultat. En effet, ce qu’ils ignoraient, c’est que les arts martiaux ancestraux du Vietnam ont toujours gardé cet aspect de combat et cette notion d’efficacité. Bien sûr, il y avait un côté figuratif, mais ce n’était qu’une adaptation moderne de cette discipline.
Le professeur de Cannes s’enfuit dès les premiers coups abandonnant sa dulcinée à son triste destin. Elle fut bousculée avant de recevoir un coup de poing au visage. Le revendicateur vindicatif d’Hyères s’esquiva prestement et trouva refuge dans les tribunes opposées avec ses élèves. Les arbitres essayaient de mettre à l’abri les enfants et les plus vulnérables lorsqu’un adolescent de quatorze ans à peine tomba dans les bras de maître Tran-Van-Ho, le visage ensanglanté. A ce moment-là, l’expert vietnamien perdit la raison. Il attrapa par la manche un pratiquant en lui demandant de s’occuper du jeune homme avant de marcher d’un pas décidé vers les combattants de tous poils. Il se fraya un chemin à coups de pied et de poing jusqu’au cœur de la mêlée et là, il se déchaîna.
Ses adversaires les plus proches furent les premiers à faire connaissance avec lui lorsque ses pieds rencontrèrent des visages ou des côtes. Malgré le brouhaha ambiant, on entendait nettement ses coups porter avec ce même bruit sec ; parfois un “ crac ” bien aigu signalait qu'un os s'était brisé. Il attrapa un des voyous par les cheveux et l’assomma d’un coup de coude au visage, avant de lui asséner un magistral coup de genou au sternum. Les hommes en noirs laissèrent un espace de plus en plus grand autour du maître de Vo. Ils comprirent qu’il viendrait à bout des perturbateurs et en profitèrent pour prendre une leçon de combat. Il se déplaçait avec une rapidité surhumaine, ses mains étaient comme des marteaux et les pieds semblaient être des ailes, mais des ailes de pierre. Les coups pleuvaient et à chaque fois un homme tombait. Certains se relevaient, mais rares étaient ceux qui désiraient continuer l’affrontement. Un des membres des buveurs de bière se jeta en avant, saisissant l’expert à la taille. Celui-ci se dégagea en donnant un coup de genou à l’infortuné avant de continuer par une frappe du coude sur l’os frontal. Un autre lui attrapa le bras en essayant de le frapper au visage. Mais avant que l’attaque ne puisse arriver, il reçut un coup de sabre de main sur la clavicule qui se brisa avec un craquement sec. De l’autre main, maître Tran-Van-Ho effectua une clef qui déboîta l’épaule de l’attaquant. Bientôt, il ne resta que trois belligérants et l’un d’entre eux était maître Ho.
Une maladroite tentative de coup de pied se solda par une projection. Le malheureux perdit conscience lorsque son dos toucha le sol. Le dernier homme debout s’avérait être le chef de la bande décimée. Il se protégea le visage comme un enfant puni, mais sans pitié, l’expert vietnamien détendit sa jambe qui brisa net les os de l’avant-bras. Puis saisissant le voyou par les cheveux, il lui asséna une gifle sonore qui résonna jusqu’aux gradins opposés du gymnase.
- “ Non m’sieur. Pitié, je ne… ”
Il n’eut pas le temps de terminer cette phrase car sa tête heurta avec fracas un poteau métallique.
Epilogue
Deux heures plus tard, les esprits s’étaient à peu près calmés. Les organisateurs commençaient à préparer la remise des récompenses aux vainqueurs. Les agents de police avaient fait leur rapport et embarqué tous les membres de la bande. Certains avaient atterri au central de police de l’évêché et d’autres aux urgences de la Timone. Dans les gradins, les spectateurs commentaient la bagarre générale à grands renforts de détails.
- “ Tu as vu au moment où le mec s’est pris une droite ?
- Ah oui, l’autre con ?
- Je me suis éclaté. T’as vu le prof de Valence ? Comment il s’appelle déjà ?
- Je sais pas, mais c’est quelqu’un. Il touche, le mec.
- Et tu as vu le maître ?
- Ouais.
- Oh là là ! La rouste qu’il a filé aux autres cons ! ”
Tout à coup, quatre des loubards revinrent au gymnase. Le seul agent de police resté en faction se cacha dans un coin lorsqu’il les vit arriver. Il pensa :
“ Putain, c’est toujours à moi que ça arrive ces trucs là. Ils sont maso ou quoi, ces mecs ? ”
Mais ils étaient venus pour de toutes autres raisons. Ils avaient l’air un peu ridicule, les bras en écharpe, le visage tuméfié. Il flottait dans l'air comme une vague ressemblance avec des momies égyptiennes ! Tous présentèrent leurs excuses aux organisateurs et aux pratiquants. L’un d’entre eux entreprit d’étudier les arts martiaux vietnamiens, mais leur quasi-totalité, évita durant de longs mois, les asiatiques de la ville, car pensaient-ils, bon nombre de ceux-ci devait pratiquer le Viet-Vo-Dao.
Tout en bas, sur le côté, la belle, toute émoustillée par le pompier qui lui avait apporté les premiers soins, lui souriait découvrant une bouche édentée. Charmée, elle l’observait d’un œil concupiscent et poché…
Mis à jour (Mardi, 24 Août 2010 22:59)